Interview de Lydia Mutsch avec le Luxembourg Féminin

"Nous sommes en matière d'emploi féminin dans un pays encore assez conservateur"

Interview: Luxembourg Féminin

Luxembourg Féminin: Qu'est-ce qu'une femme libre aujourd'hui au Grand-Duché du Luxembourg?

Lydia Mutsch: La plupart des personnes répondent qu'il s'agit d'une liberté de choix, mais en tant que ministre de l'Égalité des chances, j'élargirais cette définition. La liberté de la femme est liée à son travail et à son rôle dans la société et au fait de pouvoir combiner activité professionnelle et vie privée. Lorsque j'étais maire de la ville d'Esch-sur-Alzette, j'ai rencontré des femmes qui ont choisi de ne pas travailler et qui se retrouvent aujourd'hui dans une situation délicate, notamment après un divorce et un mariage sur deux qui se solde par un divorce. Nous vivons dans une société, où il faut subvenir à ses besoins que l'on soit homme ou femme. Il faut donc ajouter cette notion d'indépendance à la définition d'une femme libre aujourd'hui.

Luxembourg Féminin: Dans un contexte de crise qui touche particulièrement les femmes, quelles actions tenables peuvent être menées?

Lydia Mutsch: Nous sommes en matière d'emploi féminin dans un pays encore assez conservateur. Nous nous situons heureusement un peu au-dessus de la moyenne européenne en matière d'emploi féminin, mais nous venons de loin. Dans des familles d'employés d'usine, des foyers souvent modestes, c'était une fierté de pouvoir dire: "Ma femme n'a pas besoin de travailler", c'était un signe de réussite et d'ailleurs tout notre système social reste encore fondé sur les droits qui découlent de celui qui subvient aux besoins de la famille. Et pour le moment, nous maintenons ces droits, car il faudrait changer radicalement de modèle social, comme celui de l'individualisation des droits de pension.

Luxembourg Féminin: Comment se profile donc l'avenir?

Lydia Mutsch: Nous avons fondé notre prospérité sur la contribution des travailleurs de la sidérurgie. À présent, sur le pilier des finances et des fonds, même si nous avons orienté nos choix vers d'autres secteurs dans les dernières dizaines d'années. Pour diversifier notre économie et ne pas dépendre autant du secteur des finances, nous avons une nouvelle stratégie nationale "Digital Lëtzebuerg" qui place le pays comme centre d'excellence, lié aux technologies des communications, et comme lieu où la recherche et le développement sont favorisés. C'est la bonne piste, malheureusement les femmes occupent des emplois souvent mal rémunérés et souvent à temps partiel. Elles sont plus touchées par la crise que les hommes et nous avons réussi à vaincre la pauvreté des personnes âgées. Mais la grande vulnérabilité des femmes seules avec des enfants, constitue un groupe à haut risque qui se paupérise. J'encourage donc les femmes à trouver un emploi pour se sortir plus facilement de problèmes économiques ou personnels.

Luxembourg Féminin: Après un an écoulé en tant que ministre de la Santé et de l'Égalité des chances, quelles ont été les actions dont vous pouvez parler avec fierté ?

Lydia Mutsch: En tant que ministre de la Santé, en alliance avec les autres pays, nous avons tenté de vaincre le virus d'Ebola; parallèlement je souhaite trouver les moyens de convaincre les jeunes de moins abuser d'alcool et de drogues. En tant que ministre de la Santé, la troisième action est la finalisation les procédures autour du plan hospitalier. En tant que ministre de l'Égalité des chances, j'appartiens à un gouvernement, le premier dans l'histoire du pays, à s'être fixé des objectifs concrets qui concernent le processus décisionnel politique et dans les entreprises. C'est-à-dire que nous voulons que 40% des femmes soient dans ces comités décisionnels. En octobre 2014, j'ai eu l'aval pour la réalisation de ces objectifs. J'ai encore trois ans pour mettre en oeuvre la loi de financement pour les partis politiques et quatre ans pour atteindre ce quota dans les conseils d'administration.

Luxembourg Féminin: Pourquoi user de quotas?

Lydia Mutsch: Le mot "quota" ferme beaucoup de portes, car personne n'aime les quotas. C'est très controversé, mais c'est le seul instrument qui existe et qui a des résultats aussi encourageants. Tous les pays qui ont introduit des quotas ont réussi à avoir 30% à 40% de femmes dans la vie politique et dans l'économie. Les actions positives ne suffisent plus. Pendant une dizaine d'années, nous avons encouragé les entreprises à s'engager elles-mêmes, mais nous n'avons gagné qu'un petit pour cent par an. Nous sommes forcément obligés d'user d'un outil nécessaire pour arriver à notre but.

Luxembourg Féminin: Les stéréotypes sont-ils un frein ?

Lydia Mutsch: Nous grandissons avec eux par notre éducation. Je suis pour les différences, l'égalité passe par la coexistence des talents des hommes et des femmes. Or, les femmes hésitent à prendre par exemple des responsabilités, pourtant, elles ont des qualités nécessaires aux entreprises et dans notre société les femmes ne sont pas encouragées. L'éducation, les hésitations, les inégalités de salaire et le mode d'attribution des postes à responsabilité stoppent des femmes dans leur élan. En tant que ministère, il est de notre rôle d'encourager les femmes à ne plus hésiter. Le "Female Board" a constitué par exemple une base de données de 400 femmes prêtes et qualifiées pour entrer dans des conseils d'administration. Il faut savoir que 56% des diplômées universitaires au Luxembourg sont des femmes. Et pourtant, elles se heurtent au "plafond de verre". Le défi numéro un est donc d'arriver à augmenter la part et le pourcentage des femmes présentes aussi bien en politique que dans les conseils d'administration. C'est un objectif clair et net au programme du gouvernement. Mais je parle aussi de postes à responsabilités et d'un meilleur équilibre dans le processus de recrutement et de rémunération, toute une ribambelle d'actions que nous devons mener.

Luxembourg Féminin: Il y eut la commémoration, en novembre dernier, de la légalisation de l'avortement, il y a 40 ans. Avec votre double casquette ministérielle, quel est votre commentaire?

Lydia Mutsch: Je suis très fière de notre pays pour toutes les discutions que nous avons eues dans un climat de tolérance en 2012. Nous sommes un pays qui a des traditions mais nous ne bloquons pas le développement de la société. Autrefois, l'IVG faisait partie des attributions du ministère de la Justice (comme en 1978) et non du ministère de la Santé. Donc ce n'est plus un acte criminel depuis que le champ d'application a changé et la femme reste libre de prendre cette décision.

Luxembourg Féminin: Qu'est-ce qui peut vous mettre en colère, même si ce n'est pas votre nature?

Lydia Mutsch: Les attitudes bornées des personnes qui font de leur opinion, une religion. Toutes les positions extrêmes. Je ne suis pas pour les positions immuables, c'est dangereux. Pour en revenir à la question du quota par exemple, c'est un outil efficace, quelle est la raison de ne pas l'utiliser? Ce qui m'indigne aussi c'est cette stratégie de donner mauvaise conscience aux femmes, qu'elles aient décidé de travailler ou de s'occuper de leurs enfants. C'est un véritable changement de société qui est en marche autour de la complémentarité entre hommes et femmes, autour de leurs talents et leurs compétences. Nous voulons changer les mentalités, c'est mon premier but.

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